Data centers : la face pas si cachée du numérique

De l’extérieur, c’est un bâtiment industriel classique, situé en région parisienne. À l’entrée, un poste de sécurité vérifie les allées et venues. Puis, sept points de contrôle se succèdent, entrecoupés de couloirs de circulation. Détecteurs d’empreintes, badgeuses, sas unipersonnel, et système de vidéo surveillance à 360° ne laissant aucun angle mort : il s’agit d’un arsenal ultrasécurisé destiné à protéger des salles entières de serveurs qui abritent un actif sensible et stratégique : des données numériques.


Nous sommes à Saint-Denis, dans l’un des plus grands campus de data center (centre de données) en France, géré par l’entreprise Equinix. « On est un peu les soutiers de l’informatique. Personne ne nous connaît, mais dès que vous utilisez Internet, vous avez neuf chances sur dix de passer par nos data centers », assure Régis Castagné, directeur général pour la France de la société américaine qui détient près de 264 installations dans le monde.

Les data centers sont des installations physiques, des bâtiments destinés à stocker, traiter, et échanger de grandes quantités de données, à travers un réseau principalement composé de serveurs. Véritables coffres-forts du numérique, les professionnels et les particuliers sollicitent les data centers et les serveurs qu’ils renferment à chaque fois qu’ils utilisent des applications, des services en ligne, des logiciels, des terminaux mobiles, ou encore des sites web. Ces infrastructures sont de deux grands types. Les data centers dits « de colocation » hébergent les données de clients différents. Ces derniers louent des serveurs déjà installés, ou un espace dans lequel ils installent leurs propres serveurs. Les data centers dits « d’exploitation », quant à eux, sont ceux que les entreprises et les services publics hébergent au sein de leurs propres bâtiments.
Avec l’essor massif des cryptomonnaies et de l’intelligence artificielle, le volume mondial de données en circulation ne cesse d’augmenter (+ 40 % par an, selon Digital Realty, entreprise américaine de gestion de data centers, au Data center World Paris qui s’est tenu les 27 et 28 novembre 2024) entraînant un besoin accru de stockage et de calcul. Ce qui n’est pas sans conséquences sur l’environnement.

Électricité, eau, métaux : une industrie aux besoins croissants

© Sandra Mehl

Le numérique est à l’origine de 4,4 % de l’empreinte carbone en France.
Les data centers, quant à eux, représentent la deuxième source de pollution du secteur du numérique, après la fabrication des équipements. Leur empreinte environnementale provient en partie des besoins en électricité continus nécessaires à leur fonctionnement. Même lorsqu’un serveur est en veille, il consomme en moyenne 100 watts afin de répondre instantanément à une requête, et un gros data center en contient des milliers. « Un data center doit garantir la sécurité physique du capital digital que nos clients nous confient. Et il doit aussi être accessible 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Alors, l’une de nos missions est de nous assurer que toutes les conditions sont réunies pour qu’il soit fourni en électricité en permanence », précise Régis Castagné. Ainsi, les data centers consomment actuellement 2 % de l’énergie mondiale. Et les estimations prévoient qu’en 2050, ils représenteront jusqu’à 6 % de l’électricité consommée en France. Et « les gros data centers atteignent des puissances de fonctionnement telles que des accords sont actuellement signés aux USA pour bénéficier de l’électricité d’origine nucléaire », précise Bruno Lafitte, expert en technologie de l’information à l’ADEME. L’empreinte carbone des data centers s’explique également par le recours à des systèmes de refroidissement destinés à réguler la chaleur qu’ils produisent. Pour ne pas être altérés dans leur fonctionnement, les serveurs ont besoin d’être maintenus à une température ambiante de 25 °C.
« Le refroidissement est l’une des fonctions vitales d’un data center. C’est un enjeu majeur. 40 % de l’énergie consommée par cette installation viennent de son système de refroidissement », ajoute Bruno Lafitte. En plus de la consommation énergétique, ces techniques de refroidissement demandent, selon la technique utilisée, une grande quantité d’eau, une ressource précieuse, devenant stratégique à cause des effets du réchauffement climatique et du stress hydrique induit.
De plus, la fabrication et la fin de vie des équipements qui composent les data centers sont une source de pollution supplémentaire. À l’instar des appareils électroniques, les serveurs informatiques exigent de grandes quantités de métaux rares, dont l’extraction intensive, principalement en Afrique, repose sur des procédés polluants.

Quelles pistes pour limiter l’impact des data centers ?

Comment réduire alors l’impact environnemental d’une activité destinée à se développer inexorablement ? Une première piste consiste à réduire l’utilisation d’énergie carbonée et à augmenter celle des énergies renouvelables pour l’alimentation des data centers. « Chez nous, l’usage de l’électricité est responsable de 44 % de nos émissions carbone. L’objectif est d’avoir recours à 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2025. On en est à 92 % aujourd’hui », relate Grégory Lebourg, directeur de l’environnement chez OVHcloud. Une avancée de taille pour cette société au 1,6 million de clients, et 450 000 serveurs, qui émet près de 170 000 tonnes de CO2 par an. Quant à Equinix, l’entreprise a déjà atteint l’objectif de 100 % en Europe et a créé ses propres sources d’énergie renouvelable sur le territoire français grâce à sept nouvelles fermes éoliennes.

La serre implantée sur le toit du bâtiment d’Equinix accueille la culture de plants de tomates.
© Sandra Mehl

Autre levier d’action : la promotion du recyclage et du réemploi des composants servant à fabriquer les serveurs. Dix ans après sa création en 1999, OVHcloud a fait le choix d’une chaîne logistique inversée. « Nous avions déjà pris la décision de fabriquer nos propres serveurs pour garantir notre indépendance. Lorsque ceux-ci ont eu dix ans, on les a renvoyés dans nos usines de production pour les désosser, tester unitairement chaque élément, et voir dans quelle mesure on pouvait les réutiliser. Aujourd’hui, notre taux de réemploi de composants – grâce à un indicateur que nous avons créé – oscille entre 25 et 36 %. Cela évite chaque année l’émission de 17 000 tonnes de CO2 », poursuit Grégory Lebourg.

De plus, des initiatives sont développées pour récupérer et valoriser la chaleur fatale générée par le fonctionnement des data centers. Retour à Saint-Denis, où la piscine olympique ainsi que 1 600 logements autour d’elle sont chauffés par un réseau de chaleur urbain alimenté par l’activité d’Equinix. La ferme urbaine positionnée sur le toit du data center est chauffée de la même manière, produisant deux tonnes de tomates et quelques kilos d’aromates redistribués à une épicerie solidaire de la ville.